NOSTALGIE D’UN ELEVEUR…..A CETTE EPOQUE ……
Fernand COUTENS à Lombez (32 )
Nous avons rencontré M. Fernand Coutens lors de la journée de présentation de poulains et pouliches d’un an le 11 Juin à Agen. Eleveur depuis les années 1950 , cet homme, grand passionné du trotteur français était admiratif face à la belle présentation de nos produits née et élevés dans les quatre régions que couvre le GETSO .
Originaire du Gers, terre historique de cheval, il fut marqué par son voisin M. Marcel Ransou, homme de cheval reconnu et professionnel de grand talent qui écumait alors les courses régionales et au-delà. C’est par celui-ci que le « virus » du trotteur lui a été communiqué.
Getso : Racontez nous !
F.C : Dès que je pouvais, j’allais « atteler » chez Marcel et évidemment je l’accompagnais aux courses le dimanche. Les hippodromes d’alors étaient quasiment tous « piste en herbe » : Gimont, Lombez Samatan, Saramon, Rieumes, Cazères, Francescas, Fumel...aujourd’hui disparus des événements trottistes…mais aussi quelques pistes en sable telles celles de Beaumont de Lomagne ou Grenade sur Garonne dont les dirigeants ou édiles locaux faisaient preuve d’initiative et d’avant-gardisme.
A cette époque nous courions « dans notre coin » à cinquante ou quatre vingt kilomètres maximum. Par ailleurs, les chevaux pouvaient participer à trois courses dans une même après-midi. C’est ainsi que M. Ransou en gagna trois avec le même cheval en rendant 80 m ! Il est vrai qu’il détenait un « phénomène » nommé « Jour de Veine » qui termina plus tard troisième d’un Prix d’Amérique.
Pour me remercier de mon aide M. Ransou m’offrit ma première jument « Barranaise R ».
Getso : Et là commença votre activité d’éleveur ?
F.C : Barranaise me donna « Emir des Oliviers » qui rejoignit les boxes de M. Simon Sartrand au Coux en Dordogne. Puis progressivement j’ai développé mon cheptel. Il faut dire que dans ces années là nous n’avions pas le souci de l’écoulement de notre production. Les ventes étaient directes entre éleveurs et propriétaires, la location n’existait quasiment pas régionalement. Nous vendions à trois ans les poulains et pouliches qui venaient directement du pré ! Il y avait preneur dans la région. On produisait, vendait et courait « région »….
Commençant à être connu en tant qu’éleveur, M.Françis Treich ( le père de Jacky ) me confia un étalon « Spartacus S » qui reproduit fort honnêtement. Puis « Un Grand Amour » ( par Jamin ) lui succéda en faisant évidemment la monte en main.
Pas très loin à Beaumont de Lomagne, M. Jean Dumouch était déjà étalonnier depuis des années et, je me souviens, les Haras Nationaux avaient amené Kaïd du Bignon à Condom.
J’arrivais en quelques années à avoir une douzaine de juments poulinières et j’écoulais en vente directe, de bouche à oreille, aux nombreux propriétaires régionaux qui se mesuraient le dimanche par chevaux interposés avec beaucoup d’enthousiasme, de gouaillerie et de bonne humeur. L’ambiance sur les « champs de course » était alors extraordinaire ! Défi du trot certes mais aussi plaisir de rencontres. La vie était plus calme, peut être plus facile, et cela amenait de la convivialité, de la joie et un esprit de fête tant aux camions, aux écuries aux balances que dans les tribunes qui étaient alors bondées.
Les chevaux débutaient pour la plupart à quatre ans et couraient jusqu’à quatorze voire quinze ans.
Dans ces années là, les parisiens, normands ou autres bretons, hommes ou chevaux, ne venaient pas en Gascogne. Les kilomètres à parcourir, les véhicules de transport et les frais engendrés constituaient des « barrières naturelles ». L’argent des prix restait dans la région et se réinvestissait localement.
Getso : Comment avez-vous progressivement amélioré la qualité de votre élevage ?
F.C : L’un de mes premiers critères a toujours été d’avoir une bonne nutrition saine et équilibrée. Herbage et/ou foin plus des compléments assurant des apports en calcium, phosphore et vitamines.
J’ai recherché d’abord des juments ayant bien couru …mais rapidement je me suis aperçu que cela n’était pas suffisant. Je me suis alors beaucoup intéressé au stud-book, pour preuve j’en possède toutes les parutions depuis 1965 ! Vous savez…quand on a la passion, on cherche toujours…
Nourriture, pedigree des mères, prophylaxie …et puis, bien sûr, le choix des étalons que l’on veut tous, nous éleveurs, « améliorateurs ». A son époque « Toscan » qui était chez M. Pierre-Désiré Allaire me faisait rêver…j’y ai donc conduit l’une de mes poulinières. C’était mon premier voyage en Normandie.
J’ai abandonné mon étalonnage personnel pour aller aux meilleures saillies régionales dans un premier temps. Le « papier » est un critère très important recherché par tous les acquéreurs potentiels : meilleure sélection des poulinières et choix d’étalons théoriquement porteurs qualitativement et génétiquement.
Getso : Globalement, dans le monde du trot, quelles évolutions vous ont le plus marqué ?
F.C : Incontestablement, l’amélioration de la race par apport de sang américain. La démarche de M. Jean-Pierre Dubois a été déterminante. Je suis admiratif car il a osé dans un contexte où il n’avait que peu de soutien au niveau de l’institution dirigeante.
En second les progrès effectués par les éleveurs en matière d’alimentation des chevaux, de prévention des maladies et de suivi aidés en cela par des vétérinaires devenus de plus en plus spécialistes, de conditions d’élevage…
Enfin, l’évolution qualitative des hippodromes. Les pistes ont fait l’objet de réfections et d’aménagements importants sous l’impulsion de dirigeants dynamiques qui ont pu obtenir des aides de la maison mère. Les conditions de course, la sécurité des chevaux et des personnes et la régularité ont été de ce fait grandement améliorées.
Getso : A contrario, y a-t-il des évolutions que vous n’appréciez pas ?
La réduction de plus en plus drastique au cours des dernières années des temps de qualification des poulains comporte un risque inhérent de « casse » important. Un poulain de deux ans est un bébé qui morphologiquement et physiologiquement est en pleine évolution d’où sa fragilité. Cette course à la précocité ne respecte pas le cheval. En conséquence, les carrières des chevaux se raccourcissent et ne se rentabilisent pas forcément. Cette orientation est une erreur sur le long terme et peut engendrer des pratiques d’élevage plus que contestables. N’oublions pas également que pour le turfiste ou le simple amoureux du cheval ce sont les vieux chevaux qui par leur durée fabriquent les légendes.
Le marché est de plus en plus difficile : la base des acquéreurs potentiels se rétrécit et les prix de vente, hors ventes parisiennes ou normandes, sont de moins en moins rémunérateurs. Le risque est de voir très rapidement un grand nombre d’éleveurs abandonner leur activité. Certains « responsables » s’en réjouiront…à tort… car ils n’auront pas su appréhender la réalité socio-économique de l’élevage et les efforts qualitatifs consentis.
Getso : Avez-vous des certitudes en matière d’élevage ?
F.C : Le pedigree plus que les performances lors du choix des mère et père. Il faut suivre les bons reproducteurs notamment lorsqu’ils engendrent de bonnes femelles : il faut porter une attention particulière lors du choix d’une jument poulinière sur son origine paternelle (père de mère).
Vous ne pouvez durer que si votre activité est rémunératrice, à terme après bien sûr la phase d’investissement initiale : ventes et primes doivent couvrir vos charges et au-delà. Il faut bien reconnaître qu’actuellement cela devient de plus en plus difficile dans nos régions.
Getso : Avez-vous une anecdote significative ?
F.C : J’avais une pouliche que j’avais placée chez un bon professionnel national. Elle me fut renvoyée : « Compliquée, dangereuse, mauvaise… » ! Après six à huit mois de prairie je la confiait à un entraîneur régional qui la qualifia et lui fit gagner environ 130 000 €… Tout le monde peut se tromper …les chevaux peuvent également changer…Ils méritent donc d’être observés, attendus parfois et réessayés. Mais en a-t-on toujours le temps et les moyens ?
Getso : Votre champion ?
F.C : « Must d’Olivier » par Arnaqueur et Altona qui a gagné près de 400 000 €. Altona était une fille de l’excellent Pontcaral et avait elle-même engrangé environ 40 000 €.
Getso : Une déception ?
F.C : Un éleveur n’a pas que des satisfactions, cela se saurait et tout le monde deviendrait éleveur. J’ai eu en particulier une très bonne jument Noemie d’Olivier sur qui nous fondions de gros espoirs et qui a été accidentée en course à Beaumont de Lomagne alors qu’elle totalisait déjà plus de 100 000 € de gains. Fille de Goetmals Wood et Fiona de la Motte (Quito de Talonay ) elle montrait une possibilité de gravir de beaux échelons. Elle est aujourd’hui poulinière.
Getso : Des regrets ?
F.C : Non ! Il ne faut jamais en avoir, cela ne sert à rien, la situation est passée et irréversible.
Un constat toutefois : si j’avais eu les moyens nécessaires j’aurais investi plus tôt sur de « gros papiers ».
Getso : Une aventure ?
Ah oui ! « Nimrod Borealis » acheté avec Olivier Deboudaud « une toute petite bouchée de pain » yearling lors des ventes à Deauville, puis qui montrait quelques aptitudes. Revendu assez rapidement, après des débuts satisfaisants, avec une marge intéressante, il a à son compteur à ce jour un peu plus de 1 250 000 € pour son nouveau propriétaire !
Getso : Un espoir ?
F.C : J’ai un inédit qualifié en 1’17 qui promet beaucoup ; C’est un fils de Jag de Bellouet et Nougatine Turgot ; il s’appelle « Trois milliards »…Rien n’interdit de rêver !
Getso : Vous êtes certainement l’un des plus anciens adhérents de notre groupement. Nous vous en remercions et pourquoi cette fidélité ?
F.C : Ce groupement fondé il y a environ vingt ans a permis une communication et une réflexion sur beaucoup de sujets liés à nos élevages. De Berty Briaud à Brigitte Arnaudis et l’actuel Président, tous se sont efforcés de faire progresser l’élevage régional en s’appuyant sur des bureaux vraiment représentatifs des éleveurs. Ce que vous réalisez aujourd’hui est vraiment une vitrine de nos élevages : chacun peut ainsi constater les progrès réalisés au fil des années par les éleveurs locaux qui peuvent ainsi également comparer leurs productions. Les entraîneurs et propriétaires ont répondu présents pour cette première manifestation de ce type que vous renouvellerez, je l’espère. Modèles et papiers étaient au rendez-vous.
Le bulletin de liaison trimestriel est une bonne chose, il constitue un élément fédérateur du groupement, en plus des informations qu’il contient.
Dans la mesure du possible, continuez à acquérir des parts d’étalons avec les saillies liées dont vous faîtes bénéficier les éleveurs.
Si vous le permettez, malgré les arguments avancés, je ne comprends pas, et nous sommes de nombreux éleveurs dans ce cas, le veto de nos dirigeants sur le transport de sperme frais. Cette position ne pourra, à mon avis, résister très longtemps à l’ouverture au champ européen et l’internationalisation croissante des courses de trotteurs, à moins que nous n’allions vers moins d’Europe et vers un repli plus qu’hexagonal, et encore cela se comprendrait encore moins. Dans une période où réduction des charges et facilitation des activités sont deux objectifs affichés constamment par nos politiques, l’éleveur régional lui est soumis à des charges croissantes (transport vers les étalons et frais de pension qui viennent se rajouter au renchérissement du coût de la nutrition et des soins) et se trouve contraint à des déplacements mangeurs de temps et d’énergie dans des périodes où sa présence sur l’exploitation est indispensable ( poulinages, soins, premières fenaisons..etc..). Pas très cohérent cela avec les objectifs claironnés ! Les éleveurs de nos régions ne sont pas traités avec justice et équité.
Merci au GETSO de s’être intéressé à ma passion .
Getso : Merci de nous avoir consacré autant de temps pour cet entretien passionnant.
Maurice CLAROUS a recueilli cette interview